mardi 28 février 2017

STAGE HAROUNA

Pour donner une idée de l'ambiance studieuse et conviviale de ce stage avec un artiste Burkinabé Harouna Ouedraogo, cette petite vidéo de l'atelier du samedi 25 février 2017.


dimanche 19 février 2017

TU TE SOUVIENS

 Quand je suis rentré d’Algérie j’avais dix huit ans raconte Bernard, c’était en 62. Le bateau sur lequel toute la famille a embarqué faisait son dernier voyage, il allait ensuite partir à la ferraille et le capitaine, lui, partait à la retraite. La fin d’un monde. La fin d’une époque. 

 Tu disais adieu à ton enfance, ta jeunesse, ton insouciance. Rentrer au pays. De Gaulle venait de donner son indépendance à l’Algérie et toi tu tenais une valise remplie en vrac par des parents trop pressés de sauver ce qui pouvait l’être. Une maison vidée de ses habitants, la plaine infinie déserte par la grande fenêtre. Quitter un pays, comme un livre sans écriture. « Venez au moins manger un couscous avant de partir » la femme qui vous invite fait à manger à même le sol en terre battue sur son canoun. L’odeur d’harissa et d’épices vient emplir le cœur et les narines. Sur son petit réchaud, toujours le thé brûlant, hyper sucré avec menthe nana. Tu as vu les yeux soulignés de khôl de Yasmina la jeune voisine en secret amoureuse de toi.  La tristesse dans ses yeux quand vous vous êtes quittés. Ce sourire triste, dernier souvenir des années de jeunesse dans les terres du sud,  tu l’as mis dans tes peintures.

        
 Retrouver l’Afrique du nord, tu y penses depuis des années, mais tu hésites. Risquer de retrouver les souvenirs d’une enfance particulièrement heureuse. Risquer d’être déçu du rêve presque idyllique que tu t’es construit.    
Avec ta compagne, il y a quatre ans tu as fini par prendre un billet d’avion pour Casablanca.  L’odeur de l’océan et les eucalyptus partout présent. Des voitures, des mobylettes partout et plus aucun bourricot. Tu traverses la Kasbah, les burnous, les djellabas, le muézine et ses appels à la prière,  les rues bruyantes, les odeurs d’épices qui sortent des portes ouvertes, les couscous, les tagines qui mijotent sur le feu dans les arrière-cuisines. A travers le dédale des ruelles tu te diriges vers le poste de police là où ton père officiait avec le logement attenant. On t’accueille les bras ouverts à la manière chaleureuse des gens du sud. « Tu es un des nôtres ». On te fait visiter les lieux, des bribes te reviennent de ton passé d’enfant, français à l’étranger. Discrètement on te demande tes papiers d’identité, c’est normal pour retrouver ton père. À la recherche de ta jeunesse et à la recherche de la vie de ce père que tu admirais tant.

 Cette année-là, ton père venait d’être nommé en fonction au Maroc.    

 Tu te souviens d’une arrivée à Casablanca, lorsque tu étais enfant. Il n’y avait pas de port à l’époque, ton père a du prendre ta mère dans ses bras pour débarquer, il avait de l’eau jusqu’aux genoux et toi tu regardais étonné de la scène.
A l’époque le Maroc était un protectorat français. Né d’une famille auvergnate montée à Paris, ton père servait l’état français dans la police pour des missions longues. Au Maroc, il rencontre ta mère d’origine sicilienne. Toi, tu es né à Casablanca. Ton enfance à Yousoufia : Louis-Gentil un douar dans la banlieue.


 Servir la nation, une transmission ancestrale chez vous ! Un roman familial fait d’épopées mémorables.  Ton grand père maternel d’origine sicilienne a kidnappé au monastère une jeune nonne sicilienne, ils partent et s’installent tous les deux au Maroc, lui travaille pour l’état français dans l’exploitation des mines de phosphates de Casablanca.

 À la veille de la 2ème guerre un de tes oncles sicilien s’engage à 18 ans dans la légion étrangère. Toujours l’honneur du drapeau.

 Tu te souviens des larmes de ton père le jour de l’indépendance du Maroc, lorsqu’ils ont enlevé le drapeau français au bureau de police pour mettre à la place le drapeau marocain.

 Tu te souviens des déménagements au gré des mutations, à chaque fois une vie à refaire. 

 De 1956 à 58 ton père est nommé brigadier de police dans les Vosges près d’Epinal. Une dramaturgie familiale qui souffle le froid et le chaud, faite de départs parfois en catastrophe et d’arrivée dans un pays inconnu où il faut s’adapter à des gens nouveaux. Tu regrettes la nourriture épicée et la chaleur des villages en bordure du désert dans la région de Casablanca Rien à voir avec la froidure des hivers des Vosges près d’Epinal. S’adapter au gré des postes dans la police.

 En 1958, c’est l’Algérie, avec ses paysages magnifiques,  à Oran et à Nemours un douar près de la frontière marocaine. Tu as onze ans. Tes jouets, des  noyaux d’abricots qui passaient de main en main. Près du village, avec les bandes de gamins, vous jouez au foot avec des grenades fruits ramassées sous les arbres. Depuis l’orangeraie, vous guettez l’arrivée des caravanes sur la longue piste en terre qui prolonge le village en direction du désert. 


 Les dromadaires transportent des sacs chargés de sel vers les villes de la côte, aujourd’hui les nomades sont guides de randonnée pour les touristes en mal de dépaysement. Tu trouves que c’était mieux avant, du temps des français. Les choses et les paysages se sont dégradés. Il reste les ruines de puits d’extraction de pétrole à l’abandon dans le désert. Ce jour-là, comme le vent charriait du sable venu du désert et qu’il s’insinuait sous les portes, tu as senti que le pays se refermait, que plus rien ne serait comme avant, qu’il vous fallait partir, vous étiez indésirables dans cette Algérie qui ne voulait plus de vous. Vous êtes repartis vers la France.

 Dans ta mémoire les cavaliers sont encore là. Les  hommes bleus du désert et leurs histoires  mystérieuses. 


Rêves d’itinérance et de vie nomade.


Le lointain comme l’amour où la poésie est toujours peuplée de merveilles.


Texte Marie-Pierre BAYLE

Tableaux  "REIDROC"



samedi 4 février 2017

DES ESPACES DE LIBERTÉ HEUREUSE

 PROLOGUE : DANS UNE VIE ANTÉRIEURE.

Frère Evelin œuvrait à son pupitre. Il n’avait pas la meilleure place, elles étaient réservées aux enlumineurs ; entourés de leurs encriers de couleurs, du précieux doré fait d’or pur et de safran, ils représentaient l’aristocratie de l’atelier et morguaient les simples copistes.

Il avait demandé la protection des bénédictins après s’être enfui de la masure de ses parents. De faible constitution, affligé, pour le rude travail, de mains trop délicates, on l’y rudoyait du matin au soir. L’abbé avait vite remarqué son habileté et frère Evelin, nourri à sa faim, chauffé au scriptorium, apprécié pour son caractère doux et son écriture soignée, coulait des jours heureux, loin des tentations de ce monde, accoudé à son pupitre.

Il copiait d’anciens manuscrits. La tâche n’était pas sans noblesse. Tant de textes, fleurs de la sagesse des hommes, s’étaient perdus  irrémédiablement dans les incendie et les pillages.
Copier et envoyer dans les abbayes sœur ces sauvegardes pour que survive la sagesse des hommes.
Frère Evelin ne connaissait ni le grec ni le latin. Ces textes lui paraissaient d’autant plus précieux qu’il n’en comprenait pas le sens.


Il taillait soigneusement sa plume d’oie, préparait son encre rouge et noire et lentement, méticuleusement, au fil des heures et des jours qui se suivaient, imitait avec tout le soin dont il était capable les mystérieux caractères.

Il aimait le tracé des lettres grecques. Et particulièrement l’alpha et l’oméga qui figuraient, sculptés,    au tympan de l’église.

Lorsqu’un ancien manuscrit était taché, il se faisait violence pour ne pas copier la tache mais finissait toujours, en fin de journée, par laisser tomber au bon endroit un pâté  d’encre, comme une maladresse due à la fatigue. Il pouvait aller se coucher en paix.

Ce qui  était pour lui mystérieux, il le transmettait à d’autres yeux, tel qu’il l’avait trouvé, à l’identique, en passeur de sagesse et de beauté, pour que le monde continue à l’identique pour les siècles des siècles.


DES ESPACES DE LIBERTÉ HEUREUSE

Pour mes peintures dit Évelyne j'aime  les couleurs vives, le dessin net et précis.
Mes loisirs, faire des ballades en pleine nature pour prendre en photo la beauté d’un paysage, la finesse d’une fleur, son éclat particulier que je reproduis ensuite fidèlement sur ma toile.  J’aime visiter la France et ses villages typiques préservés, toujours à la recherche de composer une belle toile.
Peindre pour enchanter la vie
Évelyne a grand souci du détail,  l’image est reproduite de manière exigeante et fidèle. Rien dans le tracé n’est laissé au hasard, une puriste du détail, les tons affirmés, les couleurs éclatantes, l’inspiration variée !
Peindre, c’est créer du « beau » pour éloigner les imperfections du monde, les peurs, les obstacles. Peindre,  un acte sacré qui doit engendrer la certitude de l’existence des choses et des êtres qui obéissent à des règles précises. Tout est mesuré, calculé.
Viser une perfection. Formes et couleurs obéissent à des règles que le peintre doit respecter.

La peinture d’Évelyne, comme  un  rempart à la dureté du réel.


Ses toiles comme des attrapeurs de rêve, des invitations au Voyage.

 Bouquet printanier, Départ lointain, Nature morte, Sous l’arganier, Piano forte.


Dans son " Bouquet printanier ", marguerite, coquelicot, bleuet, l’exubérance écarlate éclate soudain et envahit tout l’espace de la fenêtre par un après midi d’été. 

"Départ lointain"

Partir avec les grands voiliers d’autrefois, traverser les océans et faire gonfler les voiles sous le vent : Recréer un monde disparu. 

 
Avec " Piano forte " : Chanter sur les notes d’un piano géant, et danser la valse de la vie.
Au-delà des pensées, voir, regarder, contempler, se laisser emporter par la musique comme les danseurs que nous sommes sur le piano de la Vie.


"Sous l’arganier", s’évader, partir avec les nomades au désert. Jaune et bleu, couleurs intenses pour dire la force de la chaleur au soleil d’Afrique.
Un arbre et c’est déjà l’oasis, la sieste sous l’arbre.

Il me revient le voyage en caravane au sud marocain en hiver 2008
 
Le texte est extrait de la dernière partie de  « Soleils d’Orient »
voyage au désert, de Marie Pierre Bayle  publié en 2009

Mohamed notre guide, marche en avant.
 « Vous venez au désert pour le silence… ».
Nous les guides sommes habitués, dit-il
« Au début il est bon de se taire,
Les occidentaux viennent là pour trouver le silence».
Le Silence n’existe pas, le désert bruisse.
Partout un Souffle, 
Un souffle – absence -présence

Qui exalte, qui porte à entendre l’inaudible, l’ineffable.
Les ermites, les mystiques ne sont-ils pas allés chercher Dieu au désert.
Un souffle qui parle, une voix en échos à d’autres voix, une ivresse d’espace.
Mais si l’autre s’éloigne,
Le désert  ramène vite l’angoisse de l’anéantissement…

« Donner de l’espace à l’esprit »
Peu à peu, les yeux apprennent à regarder,
A chercher les signes de vie, les traces, les arbustes.
L’action combinée du vent et du feu, de l’air et de la chaleur excessive épuise la terre. Au pied des buissons et des arbustes, le sable s’accumule
En petites dunes qui montent jusqu’à étouffer le vert,
la végétation, le vivant.
La terre s’émiette se craquelle, se poussière,
La mort rôde,
Sous la forme des os blancs de dromadaire.
Le déséquilibre des éléments,
La rareté de l’eau, l’oued à sec depuis longtemps
Marcher dans un espace aussi vaste,
Tellement vaste que l’appréciation des distances  est changée.
Et si la planète  devenait petite comme dans le « Petit Prince » de Saint Exupéry. L’illustration du livre, vous la voyez,…..
La planète qui devient toute petite….
L’allumeur de réverbère, celui qui chaque jour
Remonte les lumières. Le Peintre réalise cette magique 

Marcher avec son ombre
On ne marche pas seul au désert,
On marche avec son ombre.
L’ombre perdue, oubliée, celle de l’enfance, 
Disparue  en ville, trop de monde, trop de bruit.

Pour retourner au camp dans la grande ombre – nuit.
Quand l’homme s’arrête de marcher,
Il dresse une tente, construit une maison,
Puis un village et une ville apparaissent.
L’homme s’immobilise, il habite en immeuble, la civilisation  commence.
La caravane fait naître l’expérience, la science de l’orientation, 
La reconnaissance des points d’eau,
Des ressources, des dépassements,
Pour qui cherche à se perdre.
Pour qui s’est perdu enfin, rêveur de  transhumance,
Eclaireur de la transparence, l’homme vivant sera nomade.  
Nomade en ville, au quotidien !

 « Donner de l’esprit à l’espace »

Le regard porte loin, il évalue l’espace.
Le regard esthétique voit la ligne  des dunes
Semblable aux courbes sensuelles du corps humain.
Toucher le sable, sa chaleur, sa douceur voluptueuse.
Enfoncer la main dans le sable et le laisser couler entre les doigts pour le plaisir.       « Laisser passer, ne rien retenir ».  

« Dieu a crée l’eau pour que l’homme trouve la vie.

     
Il a crée le désert pour que l’homme trouve son âme ».
   
Les religions monothéistes sont nées dans le désert.
Dans nos marches solitaires il me revient des images bibliques.
Celle du « Peuple en marche  de la Bible, l’épuisement des forces des Hébreux qui attendent la Terre Promise. Abraham et sa famille,  ou Moïse  sortant d’Égypte,
Pour  errer avec son peuple élu  dans le désert pendant quarante années,
A la quête de son Dieu et de la Terre Promise. « Au début était le Verbe ».
L’Ancien testament est né au Désert et chaque désert a son puits où aller s’abreuver.

« Par tout l’espace qu’il n’occupe pas, l’homme peut marcher sur la terre immense.»  Tchouang-tseu

 Œuvres peintes : Évelyne PONCHON
Prologue : Jean VALETTE
Texte : Marie-Pierre BAYLE