jeudi 6 avril 2017

CAPUT MORTUUM

 
Le mot "Vanité" a un double sens. Il désigne aussi bien le tableau, que l’idée que tout est illusoire, insignifiant, futile, vide.


Une vanité est une représentation allégorique de la mort, du passage du temps, de la vacuité des passions et activités humaines.


Le thème est très ancien, présent chez les antiques grecs, il se constitue en genre pictural autonome en Flandres et en France. Prisé à l’époque baroque, les vanités vont disparaître au XVIIIe siècle puis renaître avec Cézanne et plusieurs peintres du XXe. Les objets représentés symbolisent l’aspect dérisoire des activités humaines. Le temps qui passe trop vite, la fragilité, la destruction, le triomphe de la mort avec comme objet symbole un crâne humain, mais ce peut être un sablier, une fleur coupée, une femme tenant une faux.





Premier travail d’une série de Vanités «Caput mortuum» sur carton avec inclusion de graines de boulgour dans le gesso pour donner de la matière. Le Caput mortuum est un pigment ocre artificiel de couleur brun violacé obtenu par calcination du sulfate de fer.



C'est Jean Valette qui raconte :

«Il y a longtemps en Bretagne, j’avais été impressionné par les boîtes à chef, petites constructions artisanales de bois posées sur des étagères, dans un coin sombre d’église de sombre granit, logeant le crâne d’un défunt que l’on aperçoit au travers de la découpe en forme de cœur de ces petites maisons alignées. Un nom des dates et l’œil vide d’un crâne blanc qui vous regarde.»


Les petits cimetières bretons ne pouvaient accueillir qu'un petit nombre de caveaux. Au bout de cinq ans, on exhumait les trépassés pour verser à l'ossuaire les ossements inférieurs. Les crânes ou chefs sont mis à part et conservés dans de petites chasses en bois blanc comme à Saint Pol de Léon, St Fiacre.
La Vanité nous parle de transition, de passage, de transformation, d’aller à l’essence, à l’os. Rencontrer le dur, la forme essentielle, la forme originelle du corps humain. Mourir, Passer d’une forme au sans forme, comme la forme liquide passe à l’état gazeux, sans pour autant cesser d’exister. Un émiettement du corps, un émiettement de l’âme? Les os, le crâne ont la vie dure et peuvent durer. Pendant cinquante mille ans le carbone quatorze reste dans les os et le crâne peut être daté. Drôle d'idée de parler de vanité? le chef, le crâne passera infiniment plus de temps à être mort qu’à être vivant. Dans les rites funéraires anciens, le squelette après une ou plusieurs années est déterrée, nettoyé. Nettoyer les os des ancêtres, leur rendre hommage, reconnaissance, affection. Honorer par le geste, la prière, la pensée, purifier la lignée.
Le crâne comme objet d’art.



 Nouvelle Vanité de la série «Boîte à chef» carton huile 28x37 cm à accrocher dans un coin sombre. Le crâne couleur caput mortuum apparaît à peine sur le fond.


Peindre pour exorciser? Clin d’œil d'une orbite vide. La tête de mort fait peur ou fait sourire. Tonalité sombre de la toile et fort contraste rouge. L'ombre et les dents qui se détachent. Dans la toile de Jean, la couleur intensément ivoire lumineux d'une mâchoire d'outre-tombe en dehors de la tombe, un appel, un rappel, de peurs vécues dans l'enfance et que l'on peut exorciser par la peinture. Rêves, Réminiscence, provocation ou invitation au questionnement métaphysique.

Epicure vers 300 av JC affirme que la mort n'est rien pour nous. Il est absurde de redouter ce que l'on ne rencontre jamais. Soit je suis mort et je ne fais pas l'expérience de la mort, soit je suis vivant et je ne fais pas l'expérience de la mort. Je ne suis mort que pour les autres vivants.
Y a-t-il une perception, une forme de sensibilité après la mort ? La survie de mon être pensant ? La croyance à une âme libérée du corps est une croyance universellement répandue et au cœur des religions. La survie de mon «moi pensant» ! Et si dans la mort je ne perds que le corps, cela me donne une responsabilité et m'invite à une éthique de vie et la souffrance vient de l'attachement que l'âme a conçu à l'égard du corps.
Méditation sur l’après vie, la vanité des choses, éveiller l’émotion, la mélancolie, la certitude et l’impossibilité de perdre la vie. Qu’est ce qui s’en va quand la vie s’en va ? Et si dans la mort on ne perdait que le corps, la matière abandonnée à elle-même, dissociation, séparation. La vie, conscience, énergie vitale, visible et invisible, âme. La vanité de la matière, est-elle si vaine que cela ? C’est la matrice. Naître reprendre matrice.

Connaissez-vous le moyenâgeux " Dit des trois morts et des trois vifs" : Trois jeunes seigneurs, beaux, richement vêtus et pleins de morgue rencontrent  au cours d'une partie de chasse trois "transis" qui les admonestent ainsi : 

Tel nous fumes comme vous êtes, et tel que nous sommes vous serez.




Si la vie est vanité, la mort passage obligé. Pour qui est venu à l’existence, la mort est certaine. Naître a son corollaire mourir. L’inverse est-il vrai. Pour qui est mort, la nouvelle naissance est-elle inéluctable jusqu’à ce que la conscience soit suffisamment éclairée pour pouvoir choisir, de revenir ou d’accéder à la délivrance. L'état humain pour expérimenter la liberté. L’état divin n’étant pas un état libre. Le choix plus ou moins éclairé est l’apanage de l’humaine condition. Seul l’humain a le choix, l’animal est mu par ses instincts, et la peur le conditionne. 


 La première "Danse macabre" parcourait dans sa farandole épouvantable le pourtour du cimetière des Saints-Innocents à Paris, où, entre les fosses communes, des prêcheurs de l'apocalypse, des recluses à vie, des écrivains publics et le soir des "pécheresses" vivaient dans une odeur méphitique...

Près de chez nous la danse macabre de La Chaise-Dieu. 

Les dernières images en ombre du "Septième sceau d'Igmar Bergman.





Rendre l’âme. Mourir dans son sommeil est-il la plus merveilleuse des morts ?? ou un comble d’ignorance, un long sommeil d’oubli, un rêve dont on ne se réveille pas. Qui meurt ? Qui a conscience d’être mort, le «je» serait-il seulement lié au souffle, un moi à éclipse inspiration-expiration et un entre deux d’éveil ou d’ignorance, dont on ne peut rien dire. 
 

Faire table rase pour avoir la place de recommencer à jouer la vie avec de nouveaux pions. La vie demande ou exige de faire table rase. Une civilisation apparaît, se démesure et plus elle atteint la démesure, plus elle s’efface. Si la création a pris sept Jours, le septième, il faut faire table rase et tout recommencer. Nous sommes établis sur des restes. Hommage à l’imprévisible créateur des sauvageries du monde.

"Qui aime la mort aime la vie" (François Mitterrand).



Alors aimons la vie et remercions pour la chance d’être né humain, le seul état qui offre la délivrance des états conditionnés d’existence.


Texte : Marie-Pierre BAYLE
Peintures : Jean VALETTE