lundi 12 février 2018

LE PRISONNIER INTELLIGENT

LE PRISONNIER INTELLIGENT


Saurez-vous raisonner comme le prisonnier dont voici l’histoire telle que me la conta André Tissot  grand amateur de problèmes logiques ?
   "Au fin fond de l’empire vivaient, oubliés de tous, dans une forteresse délabrée et une cohabitation forcée, trois prisonniers et leur gardien.


Les jours se suivaient, monotones et sans espoir, rythmés par les trois repas, les deux promenades  dans la cour et la partie de dames que les prisonniers disputaient à tour de rôle avec le gardien, le laissant prudemment gagner le plus souvent.

Aussi lorsqu’une grande enveloppe scellée et couverte de tampons arriva par estafette un peu avant l’heure du déjeuner, le gardien éprouva-t’il fierté et inquiétude. Là-haut on se souvenait de lui, modeste rouage de la grande mécanique qui mouvait l’Empire, mais que lui voulait-on ? Il n’est pas toujours bon qu’on se souvienne de vous.

Il attendit l’heure de la sieste où la forteresse déjà silencieuse d’ordinaire se figeait en un temps mort. Il s’enferma dans son bureau, rectifia l’ordonnance de son uniforme, brossa et coiffa sa belle casquette galonnée de gardien-chef, fit de la place sur sa table de travail en écartant le jeu de dames et solennellement décacheta la grande enveloppe.


 À l’intérieur, une autre enveloppe plus petite contenant elle-même une enveloppe plus petite  etc.

En examinant leurs nombreux tampons, il découvrit que la missive parcourait depuis de nombreux mois les routes de l’Empire, séjournant parfois plusieurs semaines dans un bureau de poste avant qu’un fonctionnaire, pris d’un zèle soudain et inexpliqué ne l’expédiât, glissée dans une enveloppe plus grande, couverte de tous les tampons à sa disposition, vers la prochaine poste. Au bout de ces enveloppes gigognes il y avait une petite lettre dactylographiée portant en en-tête les aigles de l’Empire qui firent se dresser le gardien-chef en un garde-à-vous éperdu.


Il commença la lecture :

Au camarade gardien-chef, salut et fraternité,

Nous t’enjoignons par la présente et dans les plus brefs délais de choisir parmi les prisonniers confiés à ta garde le plus intelligent. À cette fin nous te laissons libre d’imaginer le moyen pour y parvenir. L’élu sera aussitôt conduit au poste de … et pris en charge par nos soins.

Notre grand Dirigeant dans sa mansuétude en l’incorporant dans une usine d’armement lui offrira l’occasion de racheter ses fautes envers notre bien-aimée Patrie attaquée sur ses frontières par les armées de la réaction.

 
La dernière partie de la lettre le laissa sans voix. On ne se contentait pas de lui donner un ordre, on lui en expliquait le pourquoi. On ne le considérait pas comme simple exécutant mais comme partie-prenante dans la politique de l’Empire. Peu s’en fallait qu’on ne lui demandât son avis voire un conseil.

Le gardien-chef savoura un moment son importance et se jura, les yeux humides, de ne jamais décevoir le Guide de la Nation.



Comment sélectionner le plus intelligent de ses trois prisonniers ? Son attention se porta sur le jeu de dames.

Après un temps assez long de réflexion il fouilla dans la paperasse de ses tiroirs, en extirpa des feuilles blanches, des dossiers à couvertures noires, un compas et une paire de ciseaux. Il s’activa jusqu’à l’heure de la promenade.

Camarades (il faillit les appeler « mes amis ») dit-il aux trois prisonniers convoqués dans son bureau, inquiets de cet imprévu.

Camarades, les hautes instances dirigeantes me demandent de choisir le plus intelligent d’entre vous pour l’appeler à un destin glorieux au service de notre chère Patrie. En échange il sera amnistié, bien nourri, bien logé et peut-être payé…
 

On voit que  dans l’exaltation de  sa tâche le camarade gardien-chef avait perdu tout sens des réalités. Les prisonniers d’ailleurs ne furent pas dupes, mais quitter la forteresse était déjà inespéré.


J’ai imaginé un problème de logique qui vous départagera. Voyez sur mon bureau ces trois ronds de carton blanc et ces deux ronds noirs. Vous vous alignerez face au mur et j’attacherai dans votre dos un rond blanc ou noir. Nous irons dans la cour de promenade. Vous pourrez voir la couleur du rond de vos camarades mais interdiction de leur parler. Le premier qui viendra me dire à l’oreille la couleur du rond qu’il porte dans le dos et m’expliquer le raisonnement qu’il a conduit sera l’élu.

Par contre, si vous vous trompez ou si vous ne pouvez expliquer votre raisonnement vous serez puni. Un seul repas par jour, une seule promenade et (ajouta-t’il avec férocité) plus de partie de dames pendant un an.

Face au mur messieurs!


Il attacha au dos des prisonniers les trois ronds blancs et, subrepticement, fit disparaître les deux ronds noirs dans sa poche.


Dans la cour de promenade les prisonniers réfléchissaient en lorgnant le dos de leurs codétenus.

Enfin, l’un d’eux s’avança le sourire aux lèvres vers le gardien-chef et lui parla longuement à l’oreille. Quand il eut terminé ce dernier cria aux deux autres prisonniers :

- Regagnez vos cellules.

 
Se tournant vers le plus intelligent :

- Prépare ton paquetage, ce soir ou au plus tard demain matin tu quitteras la forteresse. Un grand destin t’appelle, mon ami, au service de notre mère Patrie.

L’histoire ne dit pas s’il connut des lendemains qui chantèrent ou … déchantèrent."


Serez-vous aussi intelligents que ce prisonnier en essayant de trouver le raisonnement qui lui ouvrit les portes de sa prison.

Solution ici :

http://lestupinsmontbrisonnais.blogspot.fr/2018/02/raisonnement-du-prisonnier-intelligent.html

Article illustré par "Les prisons" de Piranese (vers 1750).

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